Fin de vie réfléchie

Quel poids donner à l’opposition des soignants à l’aide active à mourir ?

14/05/2025

L’aide à mourir est un sujet sur lequel certains soignants refusent de prendre en compte, à leur juste valeur, les deux réalités que sont les souffrances inapaisables et l’opinion publique.

Par soignants on entend ici les médecins généralistes et spécialistes, les psychiatres et psychologues, les infirmières et les aides-soignants ; et ce que j’appellerai les soignants réfractaires désigne ceux qui se prononcent et argumentent contre l’autorisation de l’aide à mourir, surtout quand il est envisagé que les soignants participent à l’administration du produit létal.

La première réalité concerne les souffrances.

Les soignants réfractaires n’admettent pas, ou minimisent, l’importance des souffrances insupportables et inapaisables. Les représentants de la SFAP affirment régulièrement que les soins palliatifs peuvent soulager toutes les souffrances. Pourtant aucune autre organisation de santé ne l’affirme, ni la Haute Autorité de Santé, ni la Société française d’étude et de traitement de la douleur. L’existence et l’importance des souffrance inapaisables sont clairement reconnues par l’Académie nationale de médecine, le Comité consultatif national d’éthique (CCNE), le Conseil économique, social et environnemental (CESE), la Commission parlementaire sur l’évaluation de la loi Claeys-Leonetti, et France Assos Santé (qui défend les droits des patients).

L’Académie de médecine écrit « L’indignité réside aussi dans l’absence ou l’insuffisance de prise en compte médicale et sociale de la souffrance, et les réponses inappropriées à une demande ou un signal de détresse tel le déni des souffrances intenables et l’acharnement thérapeutique à maintenir la vie. » [1] Et, le CCNE considère dans l’avis 139 que les situations des personnes souffrant de maladies graves et incurables provoquant des souffrances réfractaires soulèvent de graves questions éthiques et que ces souffrances ne peuvent pas être laissées sans réponse.[2]

Un autre constat montre que les traitements des soins palliatifs ont des limites : une étude dans la région Flandres en Belgique indique qu’environ 70% des personnes qui ont choisi l’euthanasie avaient bénéficié de soins palliatifs.[3]

En outre, on ne peut pas ignorer tous les Français malades qui se sont déplacés en Belgique ou en Suisse pour bénéficier d’une aide à mourir afin de mettre définitivement fin à leurs souffrances, impliquant des trajets souvent pénibles étant donné leur état santé ; beaucoup d’entre eux venant de régions françaises dotées de soins palliatifs.

Au bout du compte, les soignants réfractaires refusent d’accorder de l’importance à, ou éludent, ces réalités parce que, pour des raisons philosophiques ou de croyances, ils n’acceptent pas que la mort soit provoquée. Leur discours sous-entend que leurs patients devraient vivre quelles que soient les conditions et perspectives de vie. Pourtant le droit de vivre n’implique pas le devoir de vivre.

L’interdit de tuer est invoqué sans faire la distinction essentielle entre une mise à mort violente contre la volonté de la personne, et l’aide apportée à un patient qui souhaite mourir parce que c’est le seul moyen pour lui de mettre fin à ses souffrances. Dans ce dernier cas, le mot « tuer » est inapproprié puisqu’il ne s’agit pas d’une mort imposée : le patient demande à mourir et le médecin accepte de l’aider à partir en paix. La Cour européenne des Droits de l’Homme reconnaît ces nuances en jugeant l’euthanasie conforme à la Convention européenne des Droits de l’Homme.

Les soignants réfractaires invoquent aussi les dérives à l’étranger, mais c’est surtout en France qu’il y en a du fait du grand nombre d’euthanasies clandestines, hors la loi. Il est impossible de connaître leur nombre étant donné qu’elles sont clandestines, néanmoins cela pourrait représenter jusqu’à 4.500 par an si l’on fait l’extrapolation hasardeuse des chiffes au niveau national d’une étude de l’Institut national des étude démographiques (INED) publié en 2012. [4] De plus, le nombre de dérives réelles à l’étranger est très exagéré, certaines sont même inventées, et ce qui constitue une dérive est une notion qui devient souvent subjective, par exemple, en jugeant « dérives » des pratiques qui sont pourtant conformes à la loi du pays ! En fin de compte, le discours sur les dérives est destiné à masquer la réalité des maladies incurables avec souffrances inapaisables, réalité épouvantable qui est la raison d’être de l’aide à mourir. Forcer un patient à vivre contre sa volonté dans de telles conditions inhumaines devrait être considéré comme une dérive grave, surtout que depuis la loi Kouchner de 2002 il y a obligation de soulager les souffrances. La bonne réponse aux potentielles dérives n’est pas d’interdire la pratique, mais de mettre en place une législation avec des conditions strictes et de faire en sorte que cette législation soit appliquée de façon efficace. La Belgique est un bon exemple car sa loi définit des conditions strictes pour accéder à une euthanasie et la pratique est contrôlé annuellement par une commission fédérale. Il n’y a eu qu’un procès sans condamnation des médecins en plus de 20 ans de pratique.

La deuxième réalité concerne l’opinion publique.

Les soignants réfractaires refusent de s’incliner devant le fait qu’au moins deux tiers des Français sont en faveur d’une aide active à mourir (suicide assisté et euthanasie), et que cette majorité citoyenne est hermétique à tous les arguments contraires qui ont été exprimés dans les médias. Les soignants réfractaires rejettent les résultats des sondages malgré leur cohérence sur deux décennies.

M. Frédéric DABI, directeur général adjoint de l’IFOP affirme que :
« Je n’ai jamais vu un enjeu avec un fossé aussi grand entre ce que souhaitent les Français et ce que propose actuellement la législation française »
« Les sondages sont convergents quelle que soit la méthodologie, quantitative, qualitative, quelle que soit la manière dont les questions sont posées »
« Cette attente [une légalisation du suicide assisté et de l’euthanasie] est d’autant plus forte qu’elle est massive ». [5]

En outre, la Convention citoyenne sur la fin de vie a donné raison aux sondages : 76% des 184 participants ont voté en faveur de l’aide active à mourir après avoir écouté des spécialistes d’horizons divers expliquer leurs arguments pour ou contre.[6] A noter que presque tous les soignants entendus avaient pris position contre.

En conclusion, les soignants réfractaires ne réussiront pas à changer la volonté des citoyens qui, en majorité, souhaitent pouvoir choisir une assistance à mourir si par malheur ils devaient y recourir à un moment de leur vie.

Faut-il s’incliner devant l’opposition des soignants réfractaires ?

Un sondage Ifop réalisé en avril 2025 auprès d’un échantillon de 400 médecins, représentatif des médecins généralistes et spécialistes exerçant à l’hôpital et en ville, indique que 74 % souhaitent la légalisation de l’aide active à mourir.[7] Il s’agit du premier sondage réalisé par un institut de sondages parmi les plus réputés auprès d’un échantillon représentatif de médecins dans les secteurs public et privé. Les enquêtes précédentes étaient très incomplètes puisque réalisées pour des organisations spécifiques (SFAP, FEHAP, etc.) auprès de leurs soignants qui ne sont donc pas représentatifs de l’ensemble des soignants.[8] Les énormes écarts de chiffres d’une enquête à l’autre, allant de minorités à des majorités en faveur de l’aide à mourir, étaient la preuve que les enquêtes précédentes n’étaient pas représentatives de l’ensemble des soignants.

Et, le sondage Ifop d’avril 2025 révèle que 58 % des médecins accepteraient, en ayant un rôle actif, de participer à une aide active à mourir pour un patient arrivé en fin de vie et qui la demande expressément et de manière réitérée. De son côté, le Dr François Arnault, président du Conseil de l’Ordre des Médecins a révélé lors de son audition par la Commission des affaires sociales de l’Assemblée national en avril 2025 qu’une enquête auprès de 3500 médecins ordinaux, qu’un tiers est disposé à aider les patients au moment de l’acte final, une très forte évolution par rapport au passé.[9] La raison pour laquelle ce chiffre est inférieur à celui de l’Ifop est sans doute liée au fait les médecins sondés sont tous membres élus du Conseil de l’Ordre, un organisme qui a toujours manifesté son opposition à toute aide active à mourir.

Le pourcentage de médecins disposés à aider à mourir continuera à augmenter avec la dépénalisation de l’aide à mourir qui rassurera les médecins, surtout que le sondage Ifop d’avril 2025 révèle que 70 % des médecins considèrent que l’aide active à mourir est un soin de fin de vie, au même titre que la sédation profonde et continue maintenue jusqu’au décès. Actuellement, les médecins craignent d’être poursuivis s’ils aident des patients à mourir, même dans le cadre de la sédation profonde et continue jusqu’au décès (SPCJD). En mars 2023, à propos de l’enjeu au cœur de la SPCJD, la synthèse des résultats de la commission parlementaire sur l’évaluation de la loi « Claeys-Leonetti » précise : « Une enquête, menée pour le compte du CNSPFV [le Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie] en 2021, a ainsi montré la crainte très forte d’outrepasser le cadre de la loi Claeys-Leonetti, la frontière entre la SPCJD et l’euthanasie étant perçue comme relativement floue ».[10] Lors des auditions de la commission spéciale parlementaire, le docteur Denis Labayle a exprimé cette crainte de la façon suivante : « on ne peut pas travailler avec deux épées de Damoclès sur la tête : la première la justice républicaine et la deuxième le Conseil de l’ordre des médecins qui peut du jour au lendemain vous suspendre. » [11]

De quel droit les opposants pourraient-ils interdire aux professionnels qui l’accepte de venir au secours, sous-conditions, de patients qui demanderaient une assistance à mourir ? La docteure Marina Carrère d’Encausse, lors de son audition le 30 avril 2024 par la commission spéciale parlementaire chargée d’examiner le projet de loi relatif à l’accompagnement des malades et de la fin de vie, l’a exprimé ainsi : « […] pour les médecins qui le souhaitent, cela doit être respecté, tout comme doit être respecté le choix des autres qui considèrent l’aide à mourir contraire à leur déontologie. Eux aussi doivent être écoutés, entendus, respectés dans leur choix. Cette aide à mourir ne pourra jamais être imposée à aucun médecin. La clause de conscience leur laissera toute la liberté de ne pas le faire du moment qu’ils communiquent, sans délai, au malade les noms de professionnels susceptibles d’y participer. Cela ne devrait pas poser de problème.»[12]

82% des Français considèrent l’euthanasie et le suicide assisté comme des soins de fin de vie (sondage Ifop pour l’ADMD en octobre 2022). L’opinion publique devrait primer sur les soignants réfractaires parce que ceux-ci devraient être au service des patients. Cet avis a été exprimé par plusieurs médecins lors des auditions de la commission parlementaire spéciale en avril 2024 [13]:
Dr François Blot : « Les médecins ne sont pas au service de leur art, mais mettent leur art au service des malades. »
Le docteur Véronique Fournier :« Pour moi le métier de soignant et le métier de médecin en particulier est un métier conduit par le souci de l’autre, par la sollicitude qu’on lui doit. Nous sommes au service de nos patients, et non pas de nos convictions. »
Dr Denis Labayle : « Si le malade est dans une situation terminale […] c’est lui qui doit décider, être maître de sa décision. Le médecin doit être là pour l’accompagner, c’est son rôle. Le médecin doit être là de la naissance à la mort […] Là nous sommes dans le domaine de la compassion. »

Le docteur François Arnault, président du Conseil de l’Ordre des Médecins, en prend compte : « Il nous est apparu à l’Ordre des Médecins qu’il était impossible que les médecins ne soient pas à l’écoute de cette demande forte de la société. Les médecins doivent écouter la société. »[14]

Certaines organisations, dont la SFAP, ont affirmé qu’un grand nombre de soignants démissionnerait si l’aide médicale à mourir était autorisée. Cette menace n’est pas crédible. Lors de l’obligation vaccinale contre le COVID 19, une toute petite proportion de soignants a démissionné, mais ceux-ci étaient obligés de se faire vacciner, tandis qu’il n’y aura aucune obligation de participer à une aide à mourir à condition que les soignants soient protégés par une clause de conscience. A la lumière de ces considérations, il est inconcevable que les soignants abandonnent les patients auxquels ils se dévouent.

Certains évoquent la douleur que des soignants subiraient sachant que les aides à mourir sont pratiquées dans leurs institutions. Il est choquant de comparer cette souffrance « idéologique » à celles que certains patients, endurant des maladies incurables, trouvent tellement insupportables qu’ils préfèrent mourir plutôt que de vivre.

Finalement, la considération la plus importante est la suivante : le principe fondamental de la démocratie est qu’aucune minorité, même constituée de savants, ne devrait pouvoir s’imposer contre l’avis de la majorité de la population quand celle-ci a été exposée aux arguments pour et contre d’un projet.

Pour conclure, ni le gouvernement, ni les parlementaires ne devraient céder aux soignants réfractaires, qui leur mettent de la pression et tentent de les effrayer.


[1] Académie nationale de médecine, Avis du 27 juin 2023 : « Favoriser une fin de vie digne et apaisée : Répondre à la souffrance inhumaine et protéger les personnes les plus vulnérables » p3 (voir aussi p12 conclusions 4 & 5.

[2] CCNE Avis 139, p24 & p29.

[3] Etude en Flandre : https://www.ieb-eib.org/fr/actualite/fin-de-vie/euthanasie-et-suicide-assiste/belgique-l-euthanasie-comme-soin-palliatif-1288.html#:~:text=Les%20chercheurs%20du%20Zorg%20rond,m%C3%A9decin%20ne%20provoque%20leur%20mort.

[4] https://www.ined.fr/fichier/s_rubrique/19162/494.fr.pdf Sur un échantillon de 4.723 décès, 3,1 % des soit 148 cas, étaient avec intention de mettre fin à la vie des patients, et 0,8% soit 38 cas, étaient par administration d’un médicament létal. L’extrapolation de ce dernier chiffre au niveau national donnerait plus de 4.500 cas sur un total d’environ 580.00 décès par an, extrapolation hasardeuse étant donné le nombre faible de cas dans l’enquête.

[5] Source des citations de M. Frédéric DABI, directeur général adjoint IFOP : C’est dans l’air 01/01/2024 : https://twitter.com/i/status/1741928107357958629 ; C’est dans l’air 18/12/2023 : https://twitter.com/i/status/1736810226417119270 ; Audition de la Commission temporaire sur la fin de vie du CESE : https://www.admd.net/articles/medias/fin-de-vie-questions-m-frederic-dabi-directeur-general-adjoint-ifop.html

[6] Rapport de la Convention Citoyenne sur la fin de vie, Avril 2023, p53

[7] https://www.admd.org/articles/sondages/sondage-ifop-les-medecins-et-la-fin-de-vie.html

[8] Exemples : sondage auprès de 1335 professionnels des établissements de soin palliatifs, réalisé par OpinionWay en septembre 2022 ; enquête auprès de 2200 professionnels de la FEHAP, publiée en mars 2023.

[9] Compte rendu de l’audition du Dr Arnault le 2 avril 2025 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cion-soc/l17cion-soc2425061_compte-rendu

[10] Synthèse des résultats de la Commission parlementaire Évaluation de la loi « Claeys-Leonetti », section 3.B https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/organes/commissions-permanentes/affaires-sociales/missions-information/nouveaux-droits-en-faveur-des-malades-et-des-personnes-en-fin-de-vie

[11] Audition commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi relatif à l’accompagnement des malades et de la fin de vie, table ronde avec des associations le 25/04/2024 : https://videos.assemblee-nationale.fr/video.15072927_662a04472fbcd.accompagnement-des-malades-et-fin-de-vie–tables-rondes-avec-des-associations-sur-laccompagnement–25-avril-2024

[12] Audition commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi relatif à l’accompagnement des malades et de la fin de vie, table ronde du 30/04/2024 https://videos.assemblee-nationale.fr/video.15118598_6634e6f264ff3.accompagnement-des-malades-et-fin-de-vie–table-ronde-sur-laccompagnement-des-malades-et-la-fin-de-30-avril-2024

[13] Ipid

[14] Audition du Dr François Arnault, président du Conseil de l’Ordre des Médecins, par la Commission des affaires sociales de l’Assemblée national en avril 2025.