Fin de vie réfléchie

Fausses certitudes : mot de la fin

Marcel Proust a écrit que « les faits ne pénètrent pas dans le monde où vivent nos croyances ». Je pense que son affirmation est juste et je ne prétends pas que mes arguments soient capables de persuader du contraire la minorité qui est farouchement contre l’euthanasie et le suicide assisté. Leur prise de position est trop émotionnellement chargée.

Cependant, aucune des objections émises à l’encontre de l’aide médicale à mourir, oui aucune, n’est suffisamment probante pour ne pas accorder ce droit. Ainsi toutes ces objections m’apparaissent-elles comme des « fausses certitudes ».

En outre, et comme établi dans les réponses aux deux dernières objections, un droit à l’euthanasie et au suicide assisté n’implique aucune obligation, ni pour le médecin, ni pour le patient. Ainsi, légaliser ce droit ne prive personne de sa liberté ; en revanche l’interdire prive une partie de la population de la possibilité d’agir selon sa propre croyance et sa propre conception de la vie et de la mort.

Somme toute, au sein du corps médical il apparaît deux approches fondamentalement différentes d’envisager le secours.

L’une est que le patient est vulnérable et qu’il faut donc impérativement l’aider et le protéger. Si un patient souhaite mettre un terme à sa vie, les seules explications possibles sont que, soit on n’a pas pris assez soin de lui, soit d’autres lui ont fait sentir qu’il était devenu un fardeau. Le principe ici est que si un patient est accompagné comme il se doit, il ne souhaitera plus mourir. Les soignants qui adoptent cette vision écartent tout fait contraire. Quand ils sont face à des patients qui veulent mettre fin à leur vie à cause de souffrances que rien ne peut soulager, certains esquivent en citant des cas de personnes avec souffrances similaires qui ne veulent pas mettre fin à leur vie, comme si cette attitude était la seule qui comptait ; d’autres semblent être dans le déni, ils refusent d’admettre l’existence de souffrances que rien ne peut soulager. Le piège de cette vision est qu’elle refuse qu’un patient puisse, dans son optique personnelle, avoir de bonnes raisons d’en finir. Le corps médical peut donc imposer une vie de souffrance à un individu contre sa volonté le dépossédant ainsi de son droit de vouloir mourir.

L’autre approche est fondée sur l’empathie. Elle amène le soignant à se mettre à la place du patient et à essayer de comprendre au mieux sa perspective et ce qu’il ressent réellement. L’important est de comprendre pour quelles raisons le patient souhaite que le corps médical l’aide à mettre fin à sa vie, de vérifier qu’il n’a subi aucune pression, de s’assurer qu’il est au courant des approches alternatives possibles. Cette façon d’envisager le secours part du principe qu’un patient peut légitiment choisir de mettre fin à sa vie, quand il s’agit de mettre fin à des souffrances incurables, vécues comme étant insupportables ; charge à l’institution d’encadrer sa décision et de l’aider à la réaliser.

Je suis convaincu qu’une vision fondée sur l’empathie est bien meilleure que la vision de surprotection qui découle de l’obsession de la vulnérabilité.

Pour conclure je pose les questions suivantes. Pourquoi environ 90 % de notre société s’exprime-t-elle, sondage après sondage, en faveur d’une aide active à mourir malgré toutes les objections émises et entendues ? Ne serait-ce pas parce les citoyens savent pertinemment qu’il y a des souffrances auxquelles il n’a pas de réponse médicale convenable ? N’ont-ils pas été confrontés à de tels cas dans leur entourage, ou n’en ont-ils pas entendu parler dans les médias ? Ne savent-ils pas que des pays limitrophes offrent des solutions plus humaines ?

Ce qui compte, au-delà de toute autre considération, c’est la souffrance. Quand la vie d’une personne est dominée par des souffrances qui sont pour elle insupportables, sans espoir de pouvoir les apaiser, il convient de l’aider à mettre fin à sa vie s’elle le souhaite. La question qui se pose n’est donc pas de décider si on devrait autoriser ou pas l’euthanasie et le suicide assisté, mais plutôt de définir dans quelles conditions les permettre, quels moyens employer et quels contrôles mettre en place.