De nombreux opposants à l’aide active à mourir justifient leur opposition au nom d’une bonne intention : la protection des personnes vulnérables.
Leur crainte est que ces dernières demandent une aide active à mourir contre leur gré ; qu’elles ne fassent pas la demande à cause de leur intime souffrance mais à cause d’un fort sentiment d’inutilité ou d’un sentiment de culpabilité d’être un fardeau pour les autres. Ces évaluations très négatives viendraient d’une pression externe : de leur entourage ou de la société entière.
Il y a certainement des personnes qui se sentent inutiles, se considèrent comme un fardeau et évoquent un désir de ne plus vivre. La question qui importe est de savoir si ces ressentis sont suffisants pour mettre fin à leurs jours. Suffiraient-ils pour passer à l’acte ? Cela est très peu probable étant donné que surpasser la volonté innée de vivre requiert une motivation très forte, hors norme, ce qui est attesté par le fait que les aides médicales à mourir ne représentent qu’environ 3 % des décès en Belgique et 5 % au Pays Bas. Vouloir réellement mettre fin à sa vie est rare et n’arrive que dans des situations de souffrance vécues et ressenties comme étant insupportables.
Néanmoins, comment peut-on protéger les personnes vulnérables contre une telle influence ? Il suffirait que la loi stipule qu’une pression externe ne peut pas être une raison valable pour accorder une aide médicalisée à mourir. Comment détecter ce genre de pression ? Tout simplement en mettant en place un système bienveillant d’écoute par lequel des médecins ou psychologues vérifient, avec une approche neutre et rassurante, les motivations du demandeur. S’il y a contrainte, il est très peu probable que le demandeur ne la révèle pas étant donné qu’il s’agit de sa propre mort ou plutôt de sa propre vie.
C’est donc au nom d’une crainte très hypothétique (des personnes iraient jusqu’à mettre fin à leur vie à cause d’une pression externe) que les opposants imposent des vies de souffrances bien réelles, ou font croire que les souffrances inapaisables n’existent pas. Pourtant, si on prend la peine d’écouter ou de lire attentivement, sans idées préconçues, les témoignages des personnes qui demandent avec constance et détermination une assistance à mourir on se rende compte qu’elles jugent leur vie pire que la mort. Qu’est qui les amènent à un tel désespoir ? Il s’agit de maladies ou conditions incurables où les patients jugent leurs souffrances invivables, et que les soignants n’ont pas réussi à soulager. Dans de telles situations tragiques il ne peut être que cruel de refuser leur demande.
On ne peut honnêtement nier l’existence de telles souffrances inapaisables, comme en attestent les exemples d’Alain Cocq, Anne Bert, et Paulette Guinchard, qui ont effectué les démarches et les déplacements nécessaires pour avoir accès à l’euthanasie en Belgique ou au suicide assisté en Suisse.
Le Conseil économique, social et environnemental (CESE), dans son avis de mai 2023, préconise le droit pour les personnes atteintes de maladies graves et incurables, en état de souffrances physique ou psychique insupportables et inapaisables, à demander l’aide active à mourir : suicide assisté ou euthanasie. Si cette formulation est reprise dans la loi et si une personne en fait la demande mais ne remplit pas les critères elle devra évidemment être refusée.
Pour conclure, une bonne intention, celle de vouloir protéger les patients vulnérables en interdisant l’aide active à mourir, pave la route à des fins de vies intolérables de souffrances.