La vie vaut d’être maintenue en toutes circonstances où la mort n’est pas inéluctable à court ou moyen terme.
Il conviendrait de faire l’effort de se projeter dans la diversité des circonstances où cette question du maintien en vie se pose. Dans ce qui suit, un exemple de circonstances dramatiques montre bien qu’il devient compréhensible qu’une personne réclame une assistance à mourir avant même d’être « en fin de vie ».
Prenons le cas d’une jeune personne dont les facultés mentales sont intactes mais qui est, après un accident, totalement incapable de bouger et de communiquer et pour qui le corps médical juge qu’il n’existe aucun remède (un syndrome qui s’appelle « locked-in », ou d’enfermement). Essayons de nous mettre à sa place : elle ne peut rien faire, donc pas d’activités, pas de projets ; elle ne peut pas dire ce qu’elle pense ; ni ce qu’elle ressent, où elle a mal, si elle a froid, si elle est triste. Imaginons qu’elle est alimentée et hydratée artificiellement, et qu’elle reste dans cet état pendant des années. Pensons-nous sincèrement que, placés dans la même situation qu’elle, nous continuerions à considérer notre vie comme valant la peine d’être vécue ? Personnellement, j’envisage une telle vie comme un état de frustration constante poussée à l’extrême, une vie où la principale envie serait celle de hurler qu’on y mette fin mais sans pouvoir le faire.
Ne serait-il pas humainement souhaitable qu’il nous soit à tous possible, si telle est notre décision, de rédiger une directive anticipée demandant une aide à mourir dans le cas où par malheur nous serions frappés du syndrome d’enfermement sans aucun moyen de communiquer ?
Prenons maintenant deux cas réels avec deux réactions très différentes.
Au milieu des années 90, suite à accident vasculaire cérébral, le journaliste Jean-Dominique Bauby s’est retrouvé dans une telle situation. Il pouvait néanmoins cligner de l’œil gauche. Il a appris, grâce à une orthophoniste, à communiquer en clignant et a ainsi dicté un livre, Le Scaphandre et le Papillon, à Claude Mendibil qui a appris comment comprendre son alphabet. Il a donc trouvé un sens à sa vie et a vécu ainsi pendant 2 ans avant de mourir d’une pneumonie.
Au début des années 2000, suite à un accident de la route, Vincent Humbert[1] s’est retrouvé dans une situation similaire (sauf qu’en plus il avait l’impression permanente d’être lardé d’aiguilles, que rien n’a pu soulager). Il pouvait cependant bouger un pouce et par ce moyen a réussi, avec l’aide de sa mère, à écrire au président de la République de l’époque pour réclamer l’autorisation d’être euthanasié. Cette demande lui ayant été refusée, il a été obligé de vivre dans cette condition pendant 3 ans, jusqu’à ce que sa femme et un médecin prennent pitié et l’aident à mourir, en infraction avec la loi. Ils n’ont toutefois pas été condamnés.
Personnellement j’ai plus de facilité de comprendre la réaction de M. Humbert parce que celle de M. Bauby reflète une volonté, un courage et des facultés d’esprit extraordinaires que tout le monde ne possède pas. Toutefois, l’approche empathique est celle qui permet de comprendre les deux façons différentes de vivre le syndrome d’enfermement sans les juger. Il convient de respecter que dans des conditions similaires certains veuillent être maintenus en vie et que d’autres demandent la mort. Chaque individu a ses propres limites. Il est important que la volonté des deux personnes face à leurs tragédies soit comprise. Forcer une personne comme Vincent Humbert à vivre, ou obliger une personne comme Jean-Dominique Bauby à mourir refléterait un manque d’empathie dans les deux cas.
Bien d’autres affections peuvent générer des souffrances inapaisables où la mort peut prendre des années, dont les maladies neurodégénératives (Charcot, Alzheimer, Parkinson) et certaines maladies génétiques. En mettant nos idées préconçues de côté et en prenant la peine de nous mettre dans la peau de personnes souffrant de telles maladies nous devrions pouvoir comprendre celles qui demandent une assistance à mourir.
[1] A ne pas confondre avec le cas de Vincent Lambert. Vincent Humbert était conscient tandis que Vincent Lambert était dans le coma.