Fin de vie réfléchie

Aide à mourir : pourquoi le pronostic vital ne devrait pas figurer parmi les conditions pour y accéder

25/05/2024

Les députés de la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi relatif à l’accompagnement des malades et de la fin de vie ont eu de bonnes raisons de voter la suppression de la condition du pronostic vital.

Le critère de « pronostic vital engagé à court ou moyen terme » est inapplicable et discriminatoire, en outre il ne répond pas à des situations de souffrance particulièrement importantes.

Le texte un peu long qui suit me semble nécessaire pour bien comprendre que le critère en question ne devrait en aucun cas être réintroduit.

Pourquoi le critère pronostic est-il inapplicable ?

Des médecins affirment qu’ils ne peuvent pas donner de pronostics fiables sur le moyen terme pour des individus souffrant de maladies incurables. Lors des auditions de la commission spéciale parlementaire les médecins suivants ont déclaré qu’il est impossible de donner un pronostic vital fiable au-delà du court terme : François Blot, Marina Carrère d’Encausse, Jean-Marie Gomas, Olivier Guérin, et Denis Labayle. D’autres médecins l’ont aussi affirmé en dehors du cadre des auditions : Jean Leonetti, Thibaud Damy, Bertrand Guidet, Ségolène Perruchio, Manuel Rodrigues, et Sébastien Salas.

Pr Lionel Collet, président de la Haute Autorité de santé (HAS), lors de son audition a parlé du manque d’information scientifique sur le critère : « Un seul mot sur le moyen terme. Nous avons rapidement balayé la littérature scientifique sur la donnée, on n’a pas trouvé actuellement de disposition sur le plan du droit comparé, au niveau international, où cette notion de moyen terme était vraiment décrite ou définie, c’est-à-dire que nous allons dans une situation où pour la première fois nous allons être conduit à définir en France ce que peut être ce moyen terme dans le cadre d’une loi sur la fin de vie. Il faut qu’on l’ait à l’esprit. Ce qui ne va pas être sans créer de difficultés. »

Pourquoi le critère pronostic est-il discriminatoire ?

Diverses personnes auditionnées de la commission spéciale ont exprimé le caractère injuste et inégalitaire de la condition du pronostic vital engagé à court ou à moyen terme dont Dr Véronique Fournier, Stéphanie Pierre (de France Assos Santé), et Pr Lionel Collet (président de la Haute Autorité de santé). Ce dernier s’est exprimé ainsi : « Est-ce ce qu’il faut inscrire un délai ? A titre personnel je considère qu’il n’en faut pas. […] parce que si nous allons sur le délai on peut imaginer les imprécisions et des contentieux que vous pourriez rencontrer si jamais ce délai était franchi parce que simplement statistiquement on pourrait penser que ce décès aurait lieu dans les six à douze mois et qu’il n’a pas lieu dans les six à douze mois pour quelque question que ce soit et notamment si la personne est encore vivante après. Donc à titre personnel je ne suis pas favorable à l’inscription d’un délai. »

Voici une autre façon d’exprimer le problème soulevez par Pr Collet. Imaginez que des médecins évaluent le pronostic vital d’un patient avec souffrance inapaisable à 12 mois, mais que le patient meurt après 5 mois. Comment pourrait-on justifier qu’une assistance à mourir ait été refusée dans ce cas parce que son pronostic vital était initialement estimé au-delà de 5 mois ? Les proches du patient pourraient tenter une action en justice contre le médecin parce qu’en se trompant de pronostic il aurait infligé des souffrances inutiles pendant quelques mois.

Le critère de pronostic soulève une question éthique importante : comment pourrait-on légitimer que des souffrances insupportables et inapaisables soient moins importantes parce qu’elles durent plus longtemps ?

Voici ce que Alain Cocq, qui n’avait pas de pronostic vital définissable, a exprimé dans sa lettre à Emmanuel Macron le 20 Juillet 2020 : « Au plan médical, je me retrouve dans la situation où le corps médical est impuissant à soigner ma pathologie orpheline […] je me trouve dans la situation d’un esprit sain, confiné dans un corps dysfonctionnel et perclus de douleurs, corps lui-même confiné dans un lit […] Il est aussi à prendre en compte que ce dit corps médical n’arrive pas à stopper la dégradation de ce corps dysfonctionnel […] supporteriez-vous Monsieur le Président, que vos intestins se vident dans une poche, que votre vessie se vide dans une poche, et que vous soyez alimenté par une poche, à ce que ce soit une personne tierce qui soit amenée à faire votre toilette, à être perclus de douleurs insupportables ? […] Pour moi, à ce jour, je ne suis plus dans une situation de vie digne ! […] Pour mémoire, le fait d’imposer à tout être humain des souffrances insupportables ou inhumaines sont assimilées à des actes de torture et de barbarie, actes qui peuvent être poursuivis devant la Cours Pénale Internationale […] je vous sollicite à pouvoir bénéficier, à titre compassionnel, du droit à une fin de vie dans la dignité avec une assistance active du corps médical. » Comme Emmanuel Macron a refusé sa demande, Alain Cocq a fait les démarches pour bénéficier d’un suicide assisté en Suisse, ce qui lui a été accordé en juin 2021.

A quelles situations particulièrement importantes le critère pronostic ne répond-t-il pas ?

L’objectif du projet de loi devrait être de répondre aux patients en souffrance qui ne rencontrent pas de solution à leur détresse parmi les dispositions législatives actuelles, notamment ceux qui vont en Belgique et en Suisse pour mettre définitivement fin à leurs souffrances.

Or, presque toutes les personnes qui ont bénéficié d’euthanasie en Belgique et de suicide assisté en Suisse n’auraient pas rempli la condition de pronostic vital engagé à court ou moyen terme, tels les cas tragiques et très médiatisés d’Anne Bert, Pr Claude Got et Paulette Guinchard. A noter que celle-ci avait pris position contre l’aide à mourir quand elle était secrétaire d’État aux personnes âgées, puis une maladie dégénérative rare et incurable s’est déclarée et a déclenché des souffrances qu’elle ne pouvait pas supporter. Pour s’en délivrer, elle a choisi le suicide assisté en Suisse et a chargé son mari de défendre l’aide à mourir en France.

De plus, au cours des deux dernières décennies, aucune des quatre personnes souffrant d’affections incurables (Vincent Humbert, Chantal Sébire, Rémy Salvat et Alain Cocq) qui ont supplié en vain les Présidents de la République de les aider à mourir, n’avaient un pronostic engagé à moyen terme. Pour mettre un terme à leurs souffrances, chacune de ces personnes a trouvé ses solutions : suicide, aide d’un médecin en France ou départ en Suisse ou en Belgique. L’abandon de telles personnes à leur sort ne relève ni de la compassion, ni de la solidarité.

Prenons le cas de Vincent Humbert. Il était enfermé dans son corps, c’est à dire que ses facultés mentales étaient intactes mais il était totalement paralysé, sauf qu’il pouvait bouger un pouce. Il aurait pu rester ainsi pendant des années en étant alimentée et hydraté artificiellement, mais pour lui c’était un cauchemar. Avec son pouce il a réussi à écrire à Jacques Chirac pour demander de bénéficier exceptionnellement d’une euthanasie. Quand sa demande a été refusée, sa mère et un médecin ont pris pitié de lui et l’ont aidé à mourir, en infraction avec la loi, toutefois sans être condamnés. Si nous faisons l’effort de nous mettre à sa place, en essayant de comprendre son ressenti, ne pourrions-nous pas comprendre sa frustration et son constat que sa vie ne valait plus la peine d’être vécue ? Et même si nous ne comprenions pas son choix, pourrions-nous au moins le respecter ?

Certains affirment que la suppression de la condition pronostic par les députés de la commission spéciale a fait sauter un garde-fou important. Pourtant, aucun pays en Europe où l’aide à mourir est permise n’a conclu qu’il convenait de mettre une telle limite, y compris ceux qui ont acquis la plus d’expérience : la Belgique, les Pays-Bas, et la Suisse.

Un « modèle français » qui aurait une telle condition restrictive serait risible car presque autant de personnes qu’avant la loi devraient continuer de devoir aller à l’étranger pour obtenir une assistance à mourir.

J’espère avoir démontré clairement que le critère de « pronostic vital engagé à court ou moyen terme » est inapplicable, discriminatoire et ne répond pas à des situations de souffrance particulièrement importantes.


Sources :
Auditions de la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi relatif à l’accompagnement des malades et de la fin de vie :

Le Dr. Jean Leonetti a affirmé s’être toujours trompé dans ses estimations de pronostic vital lors d’un débat sur la fin de vie, organisé par Espace éthique PACA Corse, à Marseille le 10/05/2023.